Octobre 2019 : Valençay
Des chèvres chez Talleyrand
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Mardi 8 octobre
Les petits groupes de co-voiturage une fois constitués, nous quittâmes séparément nos chères contrées du Hurepoix pour rejoindre en fin d’après-midi les Gâtines de l’Indre et plus particulièrement la ville de Valençay. Après avoir, pour certains d’entre nous, affronté bravement la colère conjuguée des cieux et de la FNSEA, nous parvînmes tous à bon port où un timide rayon de soleil nous fît fête pour notre installation au « Relais du Moulin », fleuron de l’hostellerie valencéenne. Le temps d’un petit tour dans le parc verdoyant bordant le Nahon, d’une première découverte de la vieille ville ou simplement d’une pause conviviale confortablement installés dans les salons de l’hôtel et nous nous retrouvâmes tous attablés devant un succulent dîner, précédé pour certains d’un kir berrichon (à base de crème de mûre et du vin rouge local) en apéritif. La qualité du repas qui nous fût servi avec prévenance et bonne humeur augurait fort bien de la suite du séjour sur le plan culinaire et tous s’accordèrent pour dire que les jours suivants furent à l’avenant.
Mercredi 9 octobre
Les prévisions météorologiques étaient, disons-le, tout à fait catastrophiques pour les deux prochains jours et, au matin, chacun consultait fébrilement qui son smartphone qui le journal local en espérant découvrir l’annonce d’au moins une petite éclaircie fugitive. En vain ! Et ce n’est pas l’averse qui fit résonner le toit de l’hôtel avant le petit déjeuner qui put nous rasséréner. Notre seul espoir résidait dans la chance proverbiale qui accompagne d’ordinaire les voyages de notre association depuis quelques années. Frêle espoir auquel nous tentions de nous raccrocher contre… « vents et marées ». Mais nous avions raison ! Le soleil fit son apparition dès nos premiers pas en dehors de l’hôtel pour ne plus nous quitter que très fugitivement jusqu’à la fin du séjour. C’est donc le cœur léger et le pas aussi alerte que nos jambes nous le permettaient que nous attaquâmes la petite montée qui séparait notre hébergement du « Château de Valençay ». La traversée des jardins qui l’entourent nous permit d’appréhender d’un premier regard ce qui fût le fief du Prince Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord pendant l’Empire et la Restauration. Le temps, pour ceux qui le souhaitaient, de s’équiper d’un audio-guide et nous voilà partis à la découverte des multiples chambres, antichambres, salons et bibliothèques qui composent le château ainsi que des personnages et familles qui l’ont successivement possédé et occupé. En bref, l’histoire commence vers 1220 (date familière aux Dourdannais…) où un premier château féodal fut construit. La seigneurie fut ensuite la propriété successive des familles de Chalon-Bourgogne et de Chalon-Tonnerre pour ne citer qu’elles avant d’être cédée en 1451 à la Maison d’Estampes (en Berry pas en Hurepoix) qui la conserva jusqu’au XVIIIe siècle. Un bref passage dans les mains des comtes Legendre de Luçay, fermiers généraux puis entrepreneurs locaux, et nous voici à la Révolution et au Consulat. Tous ces propriétaires successifs n’eurent de cesse que d’adapter au « gout du jour » l’austère forteresse médiévale pour la transformer progressivement en une bâtisse proche de l’élégante demeure qui nous accueille. C’est alors que le Prince de Talleyrand évoqué ci-dessus entre en scène et l’acquiert en 1803 à la demande de Bonaparte qui souhaitait en faire un lieu de réception pour les dignitaires étrangers. Ce fut particulièrement le cas de 1808 à 1813 où Valençay fut la résidence forcée de Ferdinand VII d’Espagne et de sa famille, chassés temporairement du trône par les visées expansionnistes napoléoniennes. C’est peu de dire que le Prince de Talleyrand est omniprésent dans chaque coin et recoin du château : les décorations et l’ameublement de chacune des pièces en portent la marque (citons notamment les chambres dites « du roi d’Espagne » et « de Mme de Staël ») et nos guides électroniques ne manquèrent pas de nous retracer par le menu les épisodes de la vie publique et privée du « Grand Homme » agrémentés d’anecdotes pittoresques et des multiples « traits d’esprit » dont il fut l’auteur ou parfois la cible. Autres centres d’intérêt : la « salle des trésors » riche en habits de cérémonie, épées d’apparat et autres objets précieux, les caves et cuisines ainsi que les jardins classés, de même que le château, au titre des monuments historiques. Un passage roboratif par notre hostellerie favorite et nous embarquions dans nos voitures, cap au Sud, direction la charmante petite ville de Levroux pour une visite du « Musée du Cuir et du Parchemin » qui nous fit découvrir l’art ancien de la « Mégisserie ». La mégisserie est l’activité associée au traitement des peaux de petites tailles, ovins ou caprins, pour la production de cuir pour l’habillement, la chaussure ou la ganterie. Elle est pratiquée par des « mégissiers », « les tanneurs » étant quant à eux spécialisés dans les peaux de bovins. Pratiquée à Levroux depuis l’époque gallo-romaine, l’activité s’est développée au fil des siècles pour culminer au début du XXe siècle période durant laquelle elle occupa jusqu’à 800 personnes. Un long déclin s’ensuivit et le nombre d’entreprises passa progressivement de 53 en 1914 à seulement 3 de nos jours, les principaux clients étant les grands noms de l’industrie du luxe (Chanel a même racheté une des entreprises locales). La visite commença par la projection d’un film d’introduction de quelques minutes puis se poursuivit par la présentation par des guides locaux, mégissiers retraités amoureux de leur ancien métier, des différentes phases du traitement des peaux. Il faut d’abord les « nettoyer » pour éliminer, côté externe, les reliquats de laines par trempage dans un bain de solution concentrée et, côté interne, les résidus de chair par grattage manuel ou plus récemment passage dans une machine spécialisée appelée « écharneuse ». Les peaux sont alors prêtes pour le tannage. Le tannage consiste à imprégner les peaux de substances dites « tannantes » ou « tanins » (avec un ou deux « n ») pour empêcher la putréfaction. Ces tanins peuvent être soit végétaux permettant d’obtenir des cuirs plus rigides (chaussures) soit minéraux pour des cuirs plus souples (gants). Il ne reste plus ensuite qu’à passer à la phase de séchage puis aux diverses finitions pour obtenir le cuir final. Les explications étaient illustrées par la présentation des machines et outils exposés utilisés pour chaque traitement et agrémentées d’anecdotes sur la vie et le travail des mégissiers tels que les ont connus nos hôtes. Une variante du traitement des peaux est la production de « parchemins », autre activité ancestralede Levroux, qui nous fut présentée par Annie Dupuet-Laurent, artisan d’art de Levroux, qui a son atelier dans les locaux mêmes du musée et tient également la boutique « Les Parchemins d’Annie » dans le village voisin de Brion. Elle nous introduisit au métier particulier de « parcheminier » et nous fit découvrir une partie de sa production. Cette visite passionnante n’était pas le seul attrait de la ville. Une promenade libre dans les vieux quartiers nous permit de découvrir la « Collégiale Saint-Sylvain » (XIIIe siècle), la « Maison de bois », charmante maison en colombage datant du XVe siècle, la « Porte de Champagne » construite également au XVe siècle, reste des fortifications de la ville, ainsi que la statue contemporaine dite du « Berger couché » (Ernest Nivet, 1930). Le retour se fit au gré de chacun par la voie directe (sur le thème de la ligne droite) ou par des variantes plus pittoresques permettant de découvrir la campagne alentour. Jeudi 10 octobre La matinée du jeudi fut consacrée à la visite du « Musée de l’automobile de Valençay ». Issu de la collection des frères Guignard, garagistes locaux de père en fils et amoureux de l’automobile, il rassemble dans un décor d’ancien garage, une soixantaine de véhicules de 1898 à « nos » jours, enfin ceux des jeunes années de la plupart d’entre nous qui purent ainsi retrouver avec un plaisir non dissimulé qui la 2CV ou 4L de leurs débuts, qui la 4CV, la Dauphine ou la DS de papa. Chacun errait à son rythme passant de la Dedion-Bouton 1909 à la Berlinette Alpine, vedette du Monte-Carlo du début des années 70. Les taxis londoniens voisinaient avec les Rolls de milliardaires, les célèbres taxis de la Marne avec les camions de pompiers, sans oublier motos, vélos, anciens postes d’essence, pièces détachées, enseignes de garages ou affiches diverses. En complément de la visite, un film d’une demi-heure environ était consacré à la « Croisière Rouge », raid automobile de 15 000 km au cours duquel quatre jeunes aventuriers des temps modernes (Olivier Turcat, André Guignard, Pierre Tairraz et Pierre François Degeorges) relièrent à l’été 1967 le Cap Nord à Paris, en passant par Moscou, le Caucase, l’Anatolie, les Balkans et Venise, à bord d’une Delaunay-Belleville de 1910 et d’une Renault de 1907. Outre les prouesses accomplies par ces vénérables ancêtres sur des itinéraires parfois peu engageants, avec les inévitables péripéties mécaniques associées, le film présentait l’intérêt de nous faire découvrir le mode de vie de populations pas encore gagnées par la mondialisation galopante et qui accueillaient avec enthousiasme souvent, perplexité parfois, ces merveilleux fous roulants dans leurs drôles de machines. L’après-midi nous vit faire route vers le Nord de Valençay pour rejoindre la commune voisine de Chabris, lieudit La Jarrerie, à la rencontre de Manuel Roger, apiculteur de son état qui nous reçut avec une convivialité que n’égalait que son érudition sur le petit monde des abeilles. On évoqua bien sûr avec lui la structure sociale de la ruche, composée en premier lieu de la reine, élément central et indispensable (si la reine meurt la ruche doit en élever une nouvelle en urgence sous peine de disparaitre) et consacrée à plein temps à la ponte des œufs (env. 2500/jour) mais aussi des faux bourdons (les mâles cantonnés au seul rôle de reproducteurs…) et surtout des ouvrières. Celles-ci sont de très loin les plus nombreuses et occupent au long de leur courte vie (6 semaines env. en été) d’abord différents rôles successifs à l’intérieur de la ruche pour pouvoir enfin sortir et devenir butineuses sur leurs « vieux » jours. L’exploitation de Manuel Roger compte environ 600 ruches et assure la production et la commercialisation de miel mais aussi d’essaims. Les ruches sont seulement « actives » à la belle saison. Afin de garantir la variété des miels en respectant les contraintes liées aux diverses appellations, l’apiculteur est amené à déplacer les ruches sur plusieurs dizaines de kilomètres pour suivre les périodes de floraison des diverses espèces végétales choisies, aboutissant ainsi à produire successivement des miels d’aubépine et de colza en avril-mai, puis d’acacia, de forêt en Sologne, et enfin de tournesol, de sarrasin et de coriandre. Une ruche peut produire jusqu’à 300 kg de miel, la moitié est conservée pour son usage interne, le reste est récolté par l’homme. Après ces intéressantes explications, nous pûmes, vêtus de vêtements protecteurs qui nous donnaient l’air de cosmonautes en goguette, accompagner l’apiculteur auprès des ruches pour en découvrir l’intérieur et jouer à une variante de « Où est Charlie ? » en partant à la recherche la reine (indice : elle est plus grande et marquée d’un point). La visite se termina par un passage à la petite boutique attenante où chacun choisit les pots de miel correspondants à ses gouts et à sa gourmandise.
Vendredi 11 octobre
La dernière matinée fut consacrée aux deux productions incontournables de Valençay : le vin et le fromage de chèvre. Or, par chance et aussi grâce au talent de notre organisatrice, nous pûmes faire « d’une pierre deux coups » en nous rendant au Puits de Saray, sur la commune de Lye. Nous commençâmes notre découverte par les vins, produits au « Domaine des Champieux ». Les rouges et les rosés de l’AOC Valençay sont élaborés à partir des cépages gamay, côt, pinot noir, cabernet franc et cabernet sauvignon alors que les blancs sont réalisés avec le sauvignon et le chardonnay. Après la traditionnelle dégustation (avec la modération de rigueur), nous nous rendîmes à la « Fromagerie André Plaza » voisine, productrice de fromages de chèvres d’AOC Valençay et Selles-sur-Cher. Un mystère ne manquait cependant pas de nous intriguer : il y avait maintenant trois jours que nous parcourions du nord au sud et d’est en ouest la campagne environnante et nous n’avions pas encore entrevu le moindre bout de la corne d’une chèvre dans les prairies alentour. Nous avions certes vu des chevreuils sauvages à plusieurs occasions mais de chèvres domestiques point. Les soupçons les plus fantaisistes commençaient à poindre : étaient-elles élevées « en batterie » ? le lait était-il importé de Chine ? Ce n’est qu’en interrogeant notre hôtesse que nous eûmes le fin mot de l’histoire. Les chèvres sont bien élevées localement et en plein air mais nous étions en pleine période de reproduction et ces dames restent alors obstinément à l’intérieur. Grace à la gentillesse de notre interlocutrice, certains d’entre nous purent jeter un coup d’œil et découvrir enfin les chèvres tant attendues, toutes regroupées au fond de la chèvrerie et faisant effectivement fi des portes grandes ouvertes et du beau soleil régnant à l’extérieur. Nous profitâmes également de l’occasion pour glaner des informations sur l’élevage caprin. Nous apprîmes ainsi que la période de reproduction commence en fin d’été, que la gestation dure environ 5 mois, que les chevreaux sont revendus après quelques jours et que la période de lactation est variable mais peut atteindre jusqu’à 10 mois. Le temps de goûter aux produits de l’exploitation dont nous pûmes apprécier la délicatesse du goût, d’embarquer nos emplettes vinicoles et fromagères dans les voitures et nous regagnâmes le « Relais du Moulin » pour le dernier repas en commun du séjour. Il nous restait à saluer et remercier chaleureusement nos hôtes et nous reprîmes la route pour regagner nos pénates dourdannaises ou, pour certains, prolonger un peu la découverte de la région. Il est vrai que les richesses touristiques ne manquent pas et nombre d’entre nous avaient déjà pu consacrer une partie du temps libre pour visiter entre autres le château de Bouges, le pont-canal sur la Sauldre à Selles-sur-Cher ou le village fleuri (4 fleurs) de Veuil. C’est donc avec la tête et les cartes mémoires remplies des images des multiples lieux découverts, les coffres pleins des productions locales mais aussi le souvenir d’un gite fort douillet et d’un excellent couvert que nous quittâmes ce petit coin de Berry en attente de nouvelles aventures.